Pourquoi ces pages sur un sujet qui semble épuisé ?

Le « à bas Euclide ! » de Jean Dieudonné, malgré tout le respect dû au grand mathématicien, m’a toujours mis mal à l’aise. J’admire davantage l’œuvre d’Émile Artin, qui a montré qu’en se basant sur une axiomatique que n’aurait pas reniée Euclide, et beaucoup moins exigeante que celle de David Hilbert, on pouvait reconstruire les notions abstraites introduites en mathématiques dites «modernes», mais devenues centenaires, que sont les structures algébriques, et en particulier les structures de corps et d’espace vectoriel.

Il est paradoxal que l’enseignement post-bac présente la structure abstraite d’espace vectoriel avant la notion d’espace affine, alors que collégiens et lycéens d’aujourd’hui (en 2020) n’ont qu’une expérience très limitée en géométrie. Cela est nécessaire d’un point de vue Bourbakiste, pour pouvoir présenter un espace affine comme un ensemble sur lequel opère le groupe de l’espace vectoriel, mais Il me semble qu’il serait pédagogiquement plus honnête d’utiliser le point de vue d’Émile Artin, qui construit d’abord le groupe additif des translations d’un plan. L’ensemble des endomorphismes de tout groupe est naturellement muni d’une structure d’anneau, on définit ensuite un sous-anneau qui se révèle être un corps en utilisant les homothéties du plan. Finalement on réussit à associer au groupe des translations, ce corps constitué d’automorphismes particuliers, et ceci à partir de seulement cinq axiomes, dont les très importants axiomes de Desargues. Les propriétés de la multiplication extérieure énoncées dans la définition «moderne» de la structure d’espace vectoriel ne sont que les propriétés qui définissent un automorphisme de groupe.

Nous allons détailler la méthode d’Émile Artin, afin de montrer tout l’intérêt qu’il faut accorder à la structure d’espace vectoriel, sans tomber dans l’excès bourbakiste de Jean Dieudonné qui voudrait débuter l’étude de la géométrie en parachutant la structure d’espace vectoriel, alors qu’il a fallu plusieurs millénaires pour effectuer cette synthèse qui est l’aboutissement de toute l’expérience acquise et accumulée par les géomètres et mathématiciens au cours d’une très longue histoire étalée sur plusieurs millénaires.